INTERVIEW Jérôme Lefranc, passionné de retrocomputing, expose une partie de sa collection près de Nantes
J’ai découvert cet univers au milieu des années 80 avec mon premier ordinateur, le Thomson MO5. On récupérait des programmes dans des magazines papier, comme Hebdogiciel, et on recopiait les lignes patiemment avec le clavier pour créer des jeux. Sur les consoles de l’époque, comme l’Atari 2600 ou Pong, ils étaient vraiment très rudimentaires alors que sur l’ordinateur, ils étaient un peu plus évolués et surtout, vous pouviez vous-mêmes facilement en créer. Comme moi, beaucoup d’adolescents se sont découvert une vocation pour l’informatique de cette façon.
A quoi ressemblaient les ordinateurs de l’époque ?
Ils n’avaient pas d’écran, car cela coûtait trop cher : ils prenaient donc la forme d’un gros bloc avec le clavier, qu’il fallait brancher à la télévision grâce à l’interface péritel. Pour conserver les programmes et les jeux, il n’y avait pas de disque dur mais des cassettes à bande, que l’on glissait dans un lecteur. Ce n’était pas très fiable et plutôt long à charger, mais bien moins cher qu’un lecteur de disquette. On pouvait brancher une manette, comme ce joystick assez rustique, ou encore un crayon optique, l’ancêtre de la souris. Vous mettiez la pointe directement sur l’écran, comme un stylet ! Il fallait garder le bras levé, et ce n’était pas très précis.
Vous possédez une centaine de machines lancées dans les années 80, dont 40 modèles tous très différents…
Ce que je trouve très intéressant dans cette période, c’est cette explosion d’inventivité. Beaucoup de constructeurs se sont mis à produire des ordinateurs, aux capacités limitées certes mais tous très originaux. En 1981, il fallait compter 7.000 francs pour un Thomson TO7, le tout premier ordinateur français. Mais avec la concurrence, le prix a vite baissé : dès l’année suivante est arrivé le Sinclair ZX81 qui était à moins de 1.000 francs, si vous l’assembliez vous-même. Les graphismes étaient en noir et blanc et il avait très peu de mémoire. Mais c’était une façon pour les familles qui le souhaitaient de découvrir l’informatique.
Comment ces matériels ont-ils évolué dans le temps ?
Cette grande explosion a duré jusqu’en 87 où s’est produit le crash de la micro-informatique. Le problème, c’est qu’il y avait énormément de concurrents avec des ordinateurs tous incompatibles entre eux, même sur une même marque. Puis sont arrivées les consoles de jeux japonaises, supérieures au niveau musique, graphisme et bien moins chères. Et en 88, l’avènement de ce qu’on appelle les ordinateurs compatibles PC, qui se ressemblaient tous : un boîtier beige, un clavier beige, un écran cathodique. Les premiers micro-ordinateurs sont vite devenus obsolètes et se vendaient pas cher via les journaux gratuits. J’en trouvais même dans les déchetteries ! J’ai eu envie de préserver ce patrimoine informatique, pour les montrer de temps en temps. Quarante ans après, la plupart fonctionnent encore.
Pouvez-vous nous parler de certains modèles de votre collection ?
Je possède un certain nombre d’ordinateurs fabriqués en France. La marque la plus connue c’est Thomson, qui avait remporté l’appel d’offres du « Plan informatique pour tous » lancé en 1985 par Laurent Fabius, le premier ministre de l’époque, pour équiper les écoles en matériel informatique. Mais il y avait aussi ExelVision à Sofia Antipolis qui produisait des matériels infrarouges, ou Matra-Hachette, près de Strasbourg. Je peux aussi vous parler du premier compatible PC portable Atari, en 89. C’est un peu l’ancêtre des organiseurs, on y mettait son répertoire téléphonique, des notes… Il y a un « fun fact », c’est qu’on le voit dans Terminator 2, quand John Connor hacke un distributeur bancaire. Je possède aussi le premier ordinateur portable sorti en 1982. C’est un produit japonais (Epson) avec un tout petit écran LCD, une batterie, et même une imprimante thermique intégrée !
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