Covid-19 : Préserver la biodiversité, le meilleur remède pour éviter d’autres pandémies ?

ENVIRONNEMENT La réalisatrice Marie-Monique Robin, avec l’actrice Juliette Binoche, s’est intéressée au lien entre l’émergence de nouvelles maladies infectieuses et les pertes de biodiversité… Leur documentaire « La Fabrique des pandémies » est diffusé sur Ushaïa TV ce dimanche 22 mai.

  • Connue notamment pour Le Monde selon Monsanto, enquête sur la multinationale, Marie-Monique Robin s’est penchée cette fois sur les conditions d’émergence des épidémies, en emmenant Juliette Binoche à la rencontre de douze écologues de la santé.
  • Tous pointent la corrélation entre l’impact humain sur les écosystèmes (déforestation, urbanisation…), les pertes de biodiversité associées et l’émergence, à un rythme plus élevé que par le passé, de nouvelles épidémies.
  • Mais le documentaire prend aussi le contre-pied en montrant comment restaurer et préserver la biodiversité peut être le meilleur remède contre l’éclosion de futures pandémies. Via par l’exemple l’effet dilution. Explications.

« Plus on déforeste, plus on perd de la biodiversité, plus on a d’épidémies… C’est la Fabrique des pandémies », expose Serge Morand, parasitologie au CNRS- Cirad (Centre de la coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), l’un des pionniers français de l’écologie de la santé. Quelques secondes plus tôt, au beau milieu d’une forêt thaïlandaise, le biologiste venait de montrer cette corrélation en trois cartes retraçant chacune l’évolution des trois indicateurs cités plus haut, toutes bariolant l’Asie du Sud-Est en un rouge foncé alarmant.

Le tout sous le regard attentif de l’actrice Juliette Binoche et la caméra de la réalisatrice Marie-Monique Robin. Connue entre autres pour son enquête sur la multinationale Monsanto – Le Monde selon Monsanto (ed. La Découverte)-, la journaliste s’est penchée cette fois sur le lien entre l’émergence de nouvelles maladies infectieuses et les pertes de biodiversité. Un sujet loin de se limiter au Covid-19. L’OMS comptait une nouvelle maladie infectieuse tous les quinze ans jusqu’en 1970, quand le rythme se situe aujourd’hui entre une et cinq émergences par an. A 70 %, il s’agit de  zoonoses, des maladies présentes chez les animaux avant de se transmettre et de se développer chez les humains. C’est le cas du coronavirus, mais aussi du Sida, de la maladie à virus Ebola, la Dengue, la maladie de Lyme, le chikungunya…

Pouvoir prédire où les épidémies vont surgir ?

De son enquête, Marie-Monique Robin en a fait un documentaire, diffusé dimanche 22 mai sur Ushaïa TV avec de nombreuses avant-premières pour compléter. La réalisatrice y embarque Juliette Binoche à travers huit pays, à la rencontre d’une douzaine d’écologues de la santé sur leurs terrains d’études.

Tous pointent cette corrélation entre l’impact humain sur les écosystèmes – déforestation, urbanisation…-, les pertes de biodiversité associées et les émergences de nouvelles épidémies. Au point de pouvoir prédire là où elles vont surgir ? Interrogés dans le documentaire, Rodolphe Gozlan, directeur de recherche à  l’Institut de recherche pour le développement (IRD), et Mathieu Nacher, épidémiologiste ont identifié et croisé ces facteurs d’émergence dans une étude publiée en septembre 2019. Elle faisait sortir deux points chauds : l’Ouganda et l’est de la Chine (incluant Wuhan, où seront détectés les premiers cas de Covid-19 quelques mois plus tard).

Serge Morand cite d’autres points chauds : « L’Afrique de l’Ouest, surtout sur la bande côtière, la vallée du Rift, des régions ciblées du Brésil, mais aussi en Europe, là où il y a de fortes concentrations d’animaux d’élevage, comme au Pays-Bas ». Mais le point chaud le plus évident, pour le parasitologue, reste l’Asie du Sud-Est. « Pointez votre compas à Bangkok et tracer un cercle dont un rayon qui va jusqu’au Pakistan, invite-t-il. Dans ce périmètre, qui englobe l’Inde, le sud de la Chine et du Japon et toute l’Asie du Sud-Est, vous avez la moitié de la population mondiale qui vit. »

Des rencontres qui n’auraient pas dû avoir lieu

Cette densité s’accompagne « d’une concentration impressionnante et en augmentation d’animaux domestiques, mais aussi de changements environnementaux très importants, reprend Serge Morand. Des destructions de forêt pour faire de la place à des plantations commerciales, type palmiers à huile, mais aussi, plus largement, des conversions de systèmes agricoles traditionnels, des petites exploitations et des cultures variées, vers des cultures de production, plus intensives et tournées vers l’export. Comme le maïs en Thaïlande, que la population ne consomme pourtant pas. »

Le tout provoque des rencontres qui n’auraient pas dû avoir lieu et qui peuvent déboucher sur de nouvelles épidémies. Dans La Fabrique des pandémies, Serge Morand prend l’exemple de la  chauve-souris du genre Pteraupus, réservoir du virus Nipah, dont le taux de mortalité est d’au moins 40 % et qui s’est propagé dans le sud-ouest de la Malaisie en 1999. Cette frugivore vivait initialement sur l’île de Bornéo, où elle a vu son habitat fondre sous l’effet de la déforestation, raconte Serge Morand. De quoi la pousser à chercher d’autres territoires, là où il y a des plantations fruitières. Comme les cultures de manguiers en Malaisie, au pied desquels les cochons, élevés pour l’export dans ce pays musulman, sont mis à l’ombre. « Les chauves-souris mangent les mangues, défèquent sur les porcs et les infectent, reprend le parasitologue. On commence à avoir de la mortalité chez les cochons, puis chez les humains à leur contact (éleveur, personnels d’abattoir à Singapour…) »

L’effet dilution

La Fabrique des pandémies retrace de nombreux autres exemples. Mais le documentaire prend aussi le contre-pied en montrant comment restaurer la biodiversité peut contribuer à tuer dans l’œuf les épidémies. C’est l’effet dilution, mécanisme mis à jour par les Américains Richard Ostfeld et Félicia Keesing. Le couple de chercheurs travaille sur la maladie de Lyme, transmise par une bactérie dont les souris à pattes blanches sont le réservoir aux Etats-Unis et les tiques les vecteurs. Autrement dit, les tiques qui viennent sur ce rongeur se gorger de sang ont 90 % de chance d’être infectées et la transmettront à leur tour, lors de leurs prochains repas, sur d’autres animaux ou promeneurs.

Richard Ostfeld et Félicia Keesing rangent la souris à patte blanche dans la catégorie des « hôtes compétents ». Mais la majorité des animaux qui vivent dans la forêt – le cerf, le raton laveur, le lynx…- sont des non compétents. Comprendre : ils peuvent porter la bactérie mais la transmettent beaucoup moins facilement aux tiques. Certains même participent à leur régulation « Comme l’opossum qui, au moment de sa toilette, tue 90 % des tiques présentes sur lui », précise Richard Ostfeld. « La présence d’une grande diversité d’espèces sur un territoire dilue l’impact de celles qui risquent le plus d’infecter les tiques avec la bactérie de la maladie de Lyme », explique alors Félicia Keesing. Les tiques auront tout simplement l’embarras du choix pour se nourrir et iront moins vers les souris à pattes blanches.

Renforcer la biodiversité dans sa définition la plus large

Tel est l’effet dilution. « Il ne marche pas pour toutes les zoonoses, certaines se transmettant sans vecteurs », précise Serge Morand. Mais le scientifique souligne le grand intérêt à maintenir une riche biodiversité. « Biodiversité au sens large », précise-t-il, pour rappeler que l’enjeu n’est pas seulement d’assurer la présence d’un grand nombre d’espèces sur un territoire. « Il faut aussi une diversité d’interactions, c’est-à-dire avec des prédateurs, les premiers à disparaître, bien souvent, quand la biodiversité se met à décliner, reprend-il. Ils ont un rôle crucial pour réguler des populations, y compris celles d’hôtes compétents. » C’est le cas du renard, chasseur hors pair de souris,​ y compris à pattes blanches, mais lui-même âprement chassé par l’homme.