REELECTION Réélu ce dimanche pour un second quinquennat, Emmanuel Macron s’est posé en « président de tous les Français », mais faut-il y voir la promesse d’une politique recentrée sur les questions sociales ?
- Après sa victoire face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron, réélu pour un second quinquennat, a voulu rassembler et apaiser les Français.
- Conscient d’avoir remporté le scrutin en partie grâce aux électeurs de la gauche et de la droite, et en dépit du rejet qu’il inspire notamment aux électeurs d’extrême droite, le chef de l’Etat promet d’être « le président de tous les Français ».
- Se sent-il obligé à l’égard des électeurs qui ne partagent pas ses idées ? Portera-t-il des mesures sociales défendues par Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ? Pas sûr.
Des premiers mots pour rassembler, apaiser, et rassurer. Confortablement réélu ce dimanche avec 58,54 % face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron le sait, « nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi, non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à l’extrême droite. Et je veux ici leur dire que j’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir. Je suis dépositaire de leur sens du devoir, de leur attachement à la République et du respect des différences qui se sont exprimées ces dernières semaines », a-t-il reconnu devant la foule rassemblée au Champ de Mars pour célébrer sa victoire.
Alors, son second quinquennat, il promet de le mener en s’appuyant sur « une méthode refondée », pour être « le président de tous », annonçant « le début d’une ère nouvelle ». Est-ce vraiment un Macron nouveau qui va prendre ses quartiers à l’Elysée pour cinq années supplémentaires ? Et en pratique, à quoi ce vote l’oblige-t-il ? Et envers qui ?
Obligé par le front républicain
Jean-Luc Mélenchon, Valérie Pécresse, Fabien Roussel ou encore Yannick Jadot : le 11 avril au soir, dès l’annonce de l’affiche du second tour du scrutin présidentiel, nombre de candidats vaincus ont appelé leurs électeurs à ne pas donner la moindre voix à Marine Le Pen, précisant pour certains qu’ils voteraient pour Emmanuel Macron. Et dans les urnes ce dimanche, Emmanuel Macron a en effet bénéficié des reports favorables de l’électorat de gauche et écologiste tout comme de celui de la candidate LR. Très convoités, près de la moitié des électeurs insoumis de Jean-Luc Mélenchon ont opté pour l’abstention et le vote nul. Mais la moitié restante a largement préféré Emmanuel Macron à Marine Le Pen, 36 % contre 18 % d’après l’institut BVA.
Le président réélu « fait preuve d’un minimum de courtoisie à l’égard de ses adversaires du premier tour, considérant l’appui inconditionnel qu’il a reçu de Fabien Roussel, celui moins direct mais bien réel de Jean-Luc Mélenchon et d’autres candidats, qui, eux, pourraient avoir des comptes à rendre à leur électorat dont une partie se demande si c’était raisonnable de l’avoir soutenu », estime Jérôme Sainte-Marie, politologue et président de l’institut PollingVox. « Le barrage républicain a perdu en intensité, mais il existe toujours », puisque « plus d’un électeur sur deux ayant voté pour Emmanuel Macron déclare l’avoir fait pour faire barrage à Marine Le Pen (56 %) », souligne la sondeuse Adélaïde Zulfikarpasic (BVA pour Ouest-France).
Obligé pour remporter les législatives
Et si nombre d’électeurs ont voté pour lui ce dimanche au nom du front républicain, Emmanuel Macron le sait : chacun et chacune risque de retourner à ses amours politiques du premier tour au moment de voter les 12 et 19 juin prochains pour les élections législatives. Un scrutin pour renouveler la composition de l’Assemblée nationale et accorder de nouveau – ou pas – une majorité parlementaire au chef de l’Etat. Une bataille du « troisième tour » dans laquelle s’est déjà engagé Jean-Luc Mélenchon, qui se verrait bien investir Matignon. Ainsi que Marine Le Pen, qui voit dans son score inédit « une éclatante victoire » et la manifestation du « souhait » des Français d’« un contre-pouvoir fort à Emmanuel Macron ».
Et les deux leaders de l’opposition savent qu’ils ont une carte à jouer. Deux sondages réalisés dimanche ont montré qu’une majorité de Français ne voulait pas que les marcheurs remportent les législatives (63 % selon OpinionWay et 56 % selon Ipsos Sopra-Steria). Après un quinquennat marqué par la crise sanitaire du Covid et celle des « gilets jaunes », les troupes du chef de l’Etat sont en ordre de bataille pour prouver qu’Emmanuel Macron peut bien être le président de tous les Français, en cassant son image de président des riches et en mettant l’accent sur des thématiques portées par LFI et le RN et chères à nombre d’électeurs. « Sur le fond, on veut aller beaucoup plus loin, beaucoup plus fort sur un certain nombre d’enjeux », pouvoir d’achat et climat en tête, a ainsi assuré le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal sur BFMTV.
Il faut « répondre au message de colère, d’inquiétude, de millions de Français qui disent “je ne m’en sors pas” », a renchéri le ministre de l’Economie Bruno Le Maire sur franceinfo, confirmant que le bouclier sur les tarifs du gaz serait « maintenu jusqu’à la fin de l’année 2022 », et que le gouvernement travaillait pour « l’été » à un dispositif d’aide ciblant les gros rouleurs. « Dire aux électeurs qui ont voté pour lui seulement au second tour que ce vote l’oblige envers eux, qu’il a compris les problématiques qui sont les leurs, qu’il les entend et les écoute, c’est une bonne stratégie pour les législatives, analyse Jérôme Sainte-Marie. Cela permet de le maintenir une position centrale, et peut favoriser un meilleur report de voix sur les candidats LREM au moment du scrutin en cas de duels locaux opposants des marcheurs à des candidats LR, RN ou LFI. »
Mais en pratique, ça « ne l’oblige strictement à rien »
« Mais en pratique, sa déclaration ne l’oblige strictement à rien, poursuit le politologue. D’autant que ces législatives, il les aborde dans les meilleures conditions : avec plus de 58 % des suffrages, ce n’est pas une victoire, c’est un triomphe, qui devrait se couronner d’une majorité présidentielle renouvelée. Des figures de droite et de gauche lui font déjà des appels du pied pour rejoindre son futur gouvernement, il ne subit aucun rapport de force. Et l’union des droites, comme l’union de la gauche, ne semble pas particulièrement bien engager pour le mettre en difficulté. Tout cela lui confère un pouvoir absolu, estime Jérôme Sainte-Marie. Quand on est élu président de la République sous la Ve République, on est le chef ! Et aujourd’hui, il dispose aujourd’hui de tous les leviers de la Ve République ».
Se posant en « président de tous » dimanche, Emmanuel Macron, réélu en partie grâce aux voix de la gauche, a aussi tendu la main aux électeurs de Marine Le Pen, estimant que « la colère et les désaccords qui les ont conduits à voter pour ce projet doivent aussi trouver une réponse ». Ce quinquennat sera-t-il celui d’une politique plus sociale, reprenant des mesures défendues par Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ? « Avec les réformes qu’il veut mener, pourquoi multiplier les gestes sociaux ? », interroge Jérôme Sainte-Marie. D’autant que « dans l’entre-deux tours, les responsables des syndicats de salariés les plus puissants – CFDT et CGT- ont signé un appel commun à faire barrage contre Marine Le Pen, donc à voter pour lui, bien que l’une de ses mesures fortes, c’est la retraite à 65 ans. Une mesure chère à celles et ceux qui ont voté pour lui par conviction. Tout cela n’augure donc pas d’un virage social pour les cinq prochaines années ».