ENERGIE Les coalitions allant dans le sens d’une sortie des énergies fossiles se multiplient à Glasgow. Une nouvelle s’est ajoutée ce mercredi encore et la COP26 n’a jamais été aussi près de mentionner cet enjeu dans sa décision finale. Mais gare à la douche écossaise ?
- A Glasgow, la COP26 est désormais entrée dans la dernière ligne droite. Elle devrait s’achever vendredi soir (si pas de prolongations) par l’adoption de ses textes de décisions finales.
- Une mention à la nécessité à accélérer la suppression progressive du charbon et des subventions aux combustibles fossiles est pour l’instant dans une première version du texte publiée mardi, mais à de fortes probabilités de sauter d’ici à vendredi soir.
- Pourtant, il a beaucoup été question de charbon, de pétrole et de gaz au cours de cette COP26. Avec à mettre au moins à son crédit l’annonce de plusieurs coalitions actant la nécessité de se diriger vers une sortie de ces énergies forts émettrices de CO2.
« Notre but n’est pas petit, notre ambition n’est pas modeste : nous espérons que ce jour marquera le début de la fin du gaz naturel et du pétrole ». La formule choisie par Dan Jorgensen est un peu pompeuse. Mais l’alliance que le ministre danois de l’énergie et du climat et Andrea Meza, son homologue costaricaine sont venus présenter à la COP21 ce mercredi midi n’est pas anecdotique non plus.
Son petit nom : BOGA, pour Beyond oil and gas alliance, coalition de pays déterminés à ne plus produire sur leur territoire de pétrole et de gaz naturel, deux énergies fossiles au lourd impact sur le réchauffement climatique. « A la dernière Assemblée générale des nations unies, fin septembre, les deux pays avaient déjà fait part de leur volonté de ne plus délivrer de permis d’exploration et d’extraction de gaz et de pétrole et de créer une coalition de pays dans ce sens », contextualise Aurore Mathieu, responsable des politiques internationales au Réseau action climat (RAC), fédération d’ONG climatique française.
BOGA pour lancer un élan international ?
C’est chose faite donc avec BOGA. En plus du Danemark et du Costa Rica, dix autres pays et régions ont rejoint la coalition. La France, le Groenland, l’Irlande, le Québec, la Suède, le Pays de Galles comme membres à part entière, ainsi que la Californie, la Nouvelle-Zélande et le Portugal comme membres associés.
Certes, dans ce groupe, ne figure aucun des principaux producteurs de ces deux énergies fossiles, bien que le Danemark soit dans les gros producteurs d’hydrocarbures de l’Union européenne (UE). « C’est une première étape », insiste Dan Jorgensen, qui espère bien que cette coalition BOGA lance un élan international. « Nous sommes en dialogues avec beaucoup d’autres pays, assure-t-il. Dont l’Ecosse qu’on peut déjà mentionner. »
Aurore Mathieu ne minore pas non plus dans cette nouvelle annonce de coalition. « C’est la première initiative diplomatique qui se focalise uniquement sur la production de gaz et de pétrole, quand les annonces dans le sens d’une sortie des énergies fossiles se sont surtout concentrées jusque-là sur le charbon », commence-t-elle. Par ailleurs, cette coalition BOGA s’ajoute à la liste des annonces faites à la COP26 depuis son ouverture qui vont dans le sens d’une sortie des énergies fossiles. En première semaine, l’alliance des pays et organisations (collectivités locales, institutions financières, entreprises…) engagés à sortir du charbon s’est ainsi enrichie de 23 nouveaux Etats, dont la Pologne et le Vietnam très dépendant aujourd’hui à cette autre énergie fossile au bilan carbone plus lourd encore que le gaz et le pétrole. Dix-neuf pays et cinq organismes* ont aussi promis, à Glasgow, de stopper leurs financements à des projets d’énergies fossiles à l’étranger d’ici fin 2022.
Un message qui commence à passer ?
Toutes ces annonces ont leurs faiblesses. Il s’agit déjà de déclarations d’intentions, non adossées à des objectifs juridiques contraignants. Elles comportent aussi, chacune, leur lot d’imprécision. Même avec cette coalition BOGA, « ses membres n’avancent pas de date à laquelle ils entendent en finir avec l’exploration et l’exploitation du pétrole, explique Lorette Philippot, chargée de campagne « finance privée » aux Amis de la Terre, ONG membre du RAC. Ils ne précisent pas non plus si cet engagement à ne plus délivrer de nouveaux permis de construire vaut aussi dans les zones où des permis d’exploration ont déjà été accordés à des entreprises. Enfin, ces pays de l’alliance Boga annoncent sortir du pétrole et du gaz sur leur territoire, mais ne s’engagent pas tous à ne plus financer en parallèle des projets d’énergies fossiles à l’étranger. »
Tout de même, mises bout à bout, ces coalitions lancées en grande pompe participent à ancrer dans les esprits la nécessaire sortie des énergies fossiles pour limiter le réchauffement climatique sous les 2 °C, voire sous les 1,5 °C. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) martèle déjà le message depuis plusieurs années à travers ses rapports. « L’Agence internationale de l’énergie (AIE) aussi désormais, ajoute Lorette Philippot, en faisant référence au rapport sorti en mai dernier, dans laquelle l’AIE appelle à renoncer dès à présent à tout nouveau projet d’exploration pétrolière ou gazière.
Une mention des fossiles même dans la décision finale de la COP ?
C’est déjà alors un premier bon point à mettre au crédit de la COP26 : « A Glasgow, l’attention a beaucoup été portée sur les énergies fossiles et le rôle qu’elles jouent dans le réchauffement climatique », observe Aurore Mathieu. Cette COP pourrait même entrer dans l’histoire en mentionnant ces énergies fossiles dans le chapeau de sa décision finale, ce texte qui résume tous les éléments sur lesquels les délégations des 197 parties (pays représentés à la COP) se sont entendues. Et donc s’engagent à tenir. Dans la première ébauche publiée mercredi matin par la présidence britannique, l’un des paragraphes appelle « les Parties à accélérer la suppression progressive du charbon et des subventions aux combustibles fossiles ».
Certes, c’est vague, mais « ce serait tout de même la première fois qu’il y a ces mentions explicites aux fossiles dans une décision finale de COP, explique Lola Vallejo, directrice du programme climat de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), qui ne s’emballe pas pour autant. « Cette première version va beaucoup bouger d’ici vendredi soir [une nouvelle version est attendue dans la nuit] et ce paragraphe, précisément, devrait être attaqué de toute part », estime-t-elle. « Par tous les pays qui ont leur économie basée sur les énergies fossiles, qu’ils soient gros producteurs ou gros consommateurs, résume Aurore Mathieu. Soit l’Inde, la Chine, les Etats-Unis, la Russie, l’Australie, l’Arabie saoudite… »
Un double jeu de la France ?
Et la France ? Aux COP, Paris négocie sous l’égide de l’UE comme les 26 autres Etats membres. Mais le pays a tout de même une certaine aura dans les négociations climatiques… Qu’elle ne mettrait justement pas au service d’une mention ambitieuse sur les énergies fossiles à Glasgow pour le RAC. Aurore Mathieu et Lorette Philippot pointent en tout cas les incohérences de Paris sur ce sujet. « D’un côté, la France rejoint la coalition Boga, ce qui ne la contraint pas à faire de nouveaux engagements puisque la loi Hulot [adoptée en décembre 2017] acte déjà la fin de la production de gaz et de pétrole sur le territoire français d’ici 2040, commence Laurette Philippot. De l’autre, elle n’a toujours pas rejoint les pays qui se sont engagés, la semaine dernière, à ne plus financer de projets d’énergies fossiles à l’étranger d’ici fin 2022. Alors que l’Allemagne et l’Espagne l’ont fait depuis. »
Pire, pour le RAC, la France se positionne de plus en plus en défenseur du gaz naturel. Elle pousse notamment pour que cette énergie fossile soit incluse dans la future taxonomie sur les investissements verts de l’UE, ce classement des « énergies propres » que Bruxelles doit arrêter cet automne et qui pourront bénéficier de financement à moindre coût pour accélérer la transition écologique des Etats membres. Aurore Matthieu décrit un jeu de billard à trois bandes. « La France supporte le gaz naturel en soutien à des pays de l’Europe de l’Est, importants producteurs de gaz naturel, explique-t-elle. Et ces derniers lui rendent l’appareil en poussant de la même façon pour qu’on réserve le même traitement au nucléaire. »
De son côté, Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, dit « être très à l’aise » avec la position française sur le gaz naturel, lors d’une rencontre avec les journalistes français, mardi, à Glasgow. Mais donne de tout autre motif à ce soutien. « La priorité absolue est de baisser drastiquement les émissions mondiales de gaz à effet de serre, notamment celles des pays aujourd’hui fortement dépendants du charbon, commence-t-elle. Si pour assurer la transition énergétique dans ces territoires, c’est-à-dire accompagner le développement des énergies renouvelables, gérer les pointes de consommation, nous avons besoin un peu de gaz naturel, alors ce sera un moindre mal. »