Crise climatique : célébrons l’amour du vivant pour vaincre le fatalisme

ÉDITO – “Jusqu’à présent, rien n’a fonctionné dans les politiques environnementales des États ou les campagnes de sensibilisation des ONG pour faire émerger une prise de conscience suffisante vers un changement de cap radical”, estime Fabrice Bonnifet, président du C3D, le Collège des directeurs du développement durable. Il nous livre ses réflexions pour sortir de l’inaction.

Déjà un mois que le “jour du dépassement*” est derrière nous, et que s’est-il passé depuis ? Rien, et l’année prochaine puis les suivantes, il ne se passera sans doute rien non plus, si nous continuons à ignorer les fondamentaux de la préservation de la vie. Pour rappel, cette triste journée marque comme un symbole le moment où l’Humanité, selon l’ONG WWF, a épuisé son quota de ressources annuelles. Autrement dit, à partir de cette date, nous consommons plus que ce que la planète est capable de régénérer naturellement dans une année.

Depuis le 29 juillet, nous vivons donc à crédit sur des réserves terrestres et halieutiques qui ne sont pas inépuisables. Tous les ans depuis les années 70, mise à part l’année 2020, du fait de la Covid, cette date emblématique de notre inconscience arrive de plus en plus tôt dans le calendrier. À l’instar des Conférences des Parties (COP) pour le climat ou pour la biodiversité qui, malgré leur enchainement depuis un quart de siècle, n’ont permis d’endiguer ni le réchauffement climatique, ni l’extinction de masse du vivant, on ne compte plus les rapports, les “journées”, les symposiums, les congrès et autres grandes déclarations publiques ou privées, censés attirer notre attention sur l’absurdité de notre modèle de développement – ou plutôt sur l’accélération assurée de notre propre trépassement, puisque chaque jour il détruit ce qui nous permet de vivre.

Bien entendu, ces événements sont tout de même utiles et même indispensables, mais ils ne sont pas suffisants pour déclencher l’action.  Le prochain congrès de l’IUCN (Congrès Mondial de la Nature), qui va se tenir à Marseille du 3 ou 11 septembre, représente d’ailleurs une nouvelle opportunité de réveil pour changer la façon dont nous gérons notre environnement naturel, afin de favoriser un développement humain, social et économique compatible avec les limites planétaires. Mais qui écoutera vraiment les avertissements des experts, sinon ceux qui sont déjà convaincus, mais qui n’ont pas le pouvoir d’agir ?

Comme le rappelait Jean Monnet : “Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise“. Force est de constater que même cette lucide maxime ne reflète plus la réalité des faits : la crise climatique, déjà bien avancée et perceptible sur tous les continents, ne suffit pas pour générer un changement de cap. Depuis une vingtaine d’années, le nombre de catastrophes naturelles associées au réchauffement climatique augmente en fréquence et en gravité, et la trajectoire suicidaire d’Homo Detritus reste exactement la même.

Le fatalisme est un refuge assez pratique pour les partisans de l’inaction– Fabrice Bonnifet

Quels enseignements tirer de cette impuissance, ne serait-ce que pour commencer à réagir, à défaut d’agir vraiment ? Un peu comme pour les accidents de la route, la Covid ou le cancer, chacun pense que les calamités climatiques n’arrivent et n’arriveront qu’aux autres. Quelle erreur ! Le fatalisme est également un refuge assez pratique pour les partisans de l’inaction. Certes, nous avons des excuses : comme l’a récemment vulgarisé Sébastien Bohler dans son livre Le Bug humain, notre cerveau est équipé d’un petit organe appelé striatum, qui régit depuis l’apparition de l’espèce humaine des comportements prédateurs incompatibles avec la modération, la sobriété et la mesure. Jadis il nous a aidés, tant que nous ne possédions pas la maîtrise de l’énergie et des machines. Mais aujourd’hui, à l’époque de l’anthropocène, il va nous conduire à l’auto-destruction. Alors que faire ? L’ablation du striatum n’étant évidemment pas envisageable, laquelle de ces solutions paraît-elle la plus envisageable : prier pour que toutes ces mauvaises nouvelles disparaissent par miracle, financer indirectement une joyeuse hypothétique virée sur Mars, ou tenter en dernier ressort de changer notre propre nature ?

Pour construire rapidement un futur désirable à l’humanité, nous devons opérer nombre de modifications comportementales face au dogme économique de la croissance infinie, à notre addiction boulimique aux énergies fossiles et à l’idée fausse que notre technologie sera plus forte que la nature. Jusqu’à présent, rien n’a fonctionné dans les politiques environnementales des États ou les campagnes de sensibilisation des ONG pour faire émerger une prise de conscience suffisante vers un changement de cap radical. Avec l’énergie du désespoir, tentons d’activer le ressort de l’émotion, en déployant une vaste campagne centrée sur l’amour du vivant, et que chacun fasse sa part tel le colibri dans sa sphère d’influence.

J’en suis persuadé, l’amour est désormais la seule force qui peut stopper l’humanité dans son effondrement. Pour apprendre à aimer le vivant sur notre planète bleue, découvrir sa beauté et sa fragilité, nul besoin de s’envoyer en l’air comme ces 3 pitoyables milliardaires et leur concours de “con-quéquette” de l’espace. Non : pour apprécier les merveilleuses facettes du vivant, il suffit juste de prendre le temps de l’observer, car on ne peut protéger que ce que l’on connaît. En France, nous avons une chance incroyable de posséder des personnalités comme Gilles Bœuf, Kalina Raskin ou encore Alain Renaudin qui sont des fantastiques conteurs du vivant. Écoutons-les et utilisons nos sens pour apprécier les miracles du vivant, car il en est du vivant comme pour la santé, n’attendons pas de le perdre pour mesurer à quel point il était indispensable !

D’un pays à l’autre, selon les modes de vie, le jour du dépassement est spécifique. Ainsi en France en 2021 la date de notre dépassement est tombée le 7 mai, ce qui nous positionne dans le peloton de tête des pays les plus pollueurs, près de 3 mois avant la moyenne annuelle mondiale. Et ce malgré les sempiternelles auto-félicitations sur notre empreinte carbone. Cocorico, oui, notre électricité est globalement décarbonée, mais la consommation d’énergie primaire globale de la France est à 70% carbonée. Réfléchissons également à la provenance d’une grande partie de nos produits ? Qui paie la facture de nos modes de vie, en termes de climat, de pollutions et de biodiversité ?

Fabrice Bonnifet