Québec doit se résigner à voir disparaître de son paysage le mythique arbre au boulet de la rue Saint-Louis. Le centenaire feuillu doit être abattu parce qu’il représente un risque à la sécurité. En lieu et place, la Ville installera une oeuvre d’art, intégrant le tronc coulé dans le bronze et le boulet.
D’abord, un peu d’histoire populaire. «La légende veut que le boulet fût tiré à partir d’un navire anglais en 1759 et que l’arbre l’a emprisonné en vieillissant. On a donc cru longtemps qu’il était très vieux», relate l’historien Jean-Marie Lebel.
La véritable histoire est connue depuis seulement 2005. Une photo d’époque prise en 1908 montre le chemin Saint-Louis à l’angle de la rue Corps-de-garde avec un alignement de boulets au sol. Ils servaient de chasse-roue pour éloigner les charrettes des habitations lors de leur passage dans les rues étroites du Vieux-Québec.
Le boulet est ancré dans le sol à l’aide d’une tige métallique. Il était donc là avant l’arbre qui a poussé naturellement. Au fil des ans, il s’est refermé sur la sphère métallique sans jamais pouvoir la déplacer. Depuis, le duo bois-fer fait le bonheur des photographes.
Ici, deux précisions s’imposent. Le fameux boulet n’en est pas un. Il s’agit plutôt d’une bombe incendiaire. Et l’arbre dont on parle est un orme. Il faudrait donc techniquement dire : l’orme et la bombe incendiaire.
Il n’en reste pas moins que la Ville reconnaît la valeur patrimoniale de cet arbre mourant qu’il était devenu impossible de sauver. Le feuillu de 96 centimètres de diamètres et de 17 mètres de hauteur est en décomposition, il présente des blessures et a des champignons.
«Un test récent montre qu’il y a 27 % de bois sain alors que ce pourcentage était de 34 % en 2009. À moins de 30 %, il y a un risque de bris», explique Luc Nadeau de la firme Nadeau foresterie urbaine, mandaté pour évaluer la santé de l’arbre et le risque qu’il représente.
Selon une grille d’analyse conservatrice, on estime le risque d’une cassure à une chance sur 100 et à une chance sur 35 le risque à la sécurité publique. Une analyse plus libérale d’une chance sur 1000 diminue le risque à la sécurité à une chance sur 526.
Opération sur trois jours
Pour M. Nadeau et la Ville, il était techniquement impensable d’installer un système de retenue de l’arbre, de toute façon en fin de vie. La Ville procédera la semaine prochaine sur trois jours au retrait de l’arbre.
Mardi, il sera écimé. Le lendemain, les travaux publics excaveront le site de plantation et un camion vacuum, comme pour les puisards, aspirera d’éventuels vestiges archéologiques. La Défense nationale sera sur place pour inspecter la bombe incendiaire et s’assurer qu’elle ne représente aucun danger. Il serait d’ailleurs étonnant qu’elle contienne de la poudre. Jeudi, le tronc sera retiré.
Une oeuvre à définir
L’artiste Paryse Martin concevra, en collaboration avec des citoyens du quartier, l’oeuvre qui sera installée au même endroit pour commémorer l’arbre centenaire… et la femme. Un défi autant technique que poétique.
«Nous allons mouler le tronc dans le bronze à l’identique et replacer le boulet exactement à la même place. Nous allons aussi conserver quelques branches pour représenter la cime», explique-t-elle.
Mme Martin a aussi en tête de remplir un vide artistique, en proposant une oeuvre qui fera l’éloge de la femme. «La représentation de la femme est en déficit dans le paysage artistique», a-t-elle constaté à travers ses nombreuses marches dans la cité.
L’idée est en gestation, mais ça pourrait être quelque chose comme une femme ancrée dans le tronc qui déploie ses bras, tels des branches, vers le ciel, lance-t-elle, à titre indicatif.
La Ville accorde 308 000 $ pour la réalisation de l’oeuvre.