VOILE Louis Burton est revenu de nulle part pour jouer la gagne sur le Vendée Globe
Il y a des signes avant-coureurs qui ne trompent pas. Un exemple ? Le faux-départ de Louis Burton, le 8 novembre aux Sables-d’Olonne, n’était que le premier obstacle d’un Vendée Globe semé d’embûches pour Bureau Vallée II. Les adeptes de l’ironie se demanderont même si le Malouin n’a pas voulu prendre un peu d’avance en prévision du retard qu’il accumulerait au milieu de l’océan indien. La blague ne tient que si on oublie les cinq heures de pénalité dont il a écopé mais il n’empêche : sur la demi-douzaine de bateaux prêts à jouer la gagne deux mois et demi plus tard, il est de loin celui qui a perdu le plus de terrain tout au long de son périple. Même les bonifiés Le Cam, Bestaven et Herrmann, impliqués dans la mission-sauvetage de Kevin Escoffier, n’ont jamais connu les 900 et quelques milles de retard de Louis Burton sur la tête de course.
Revenu d’entre les morts après avoir « songé plusieurs fois à l’abandon » au prix d’un acharnement dont même l’illustre Michel Desjoyeaux se dit admiratif, le voilà qui joue la gagne. « J’ai fait un point dans ma tête quand j’ai récupéré la 2e place il y a quelques jours, nous dit Burton. Cette histoire est assez dingue et c’est un grand moment de bonheur dans ma vie de coureur que d’avoir réussi à rattraper ces 1.000 milles. » La prouesse vient couronner une approche psychologique de la course dont Burton nous parlait dans une analyse prémonitoire autour d’un café l’an dernier, juste avant le premier confinement. « Parfois il faut réussir à se dire qu’à l’échelle du globe, avoir plusieurs centaines de milles de retard, c’est pas grand-chose. » Une pensée qui n’a cessée de l’accompagner quand il fallu mettre les gaz après ses dernières réparations à l’île Macquarie (on y reviendra). « C’est exactement ça. Au début tu n’y crois pas, puis tu arrives mentalement à te dire qu’à l’échelle de la planète c’est pas grand-chose et tu retrouves la motivation. » Il en fallait au moins un peu pour se remettre de toutes ces péripéties.
Les galères de Burton en bref
8 novembre : faux-départ, cinq heures de pénalité
12 novembre : fuite du système hydraulique et fissure sur une cloison structurelle
5 décembre : Panne de pilote automatique
15 décembre : Rail de grand voile cassé, hook non opérationnels
21 décembre : A l’abri du vent à Macquarie, Burton réussit ses réparations en tête de mât et repart après avoir songé à l’abandon
Du brouillard, des pingouins et un cri de rage
L’île Macquarie, donc. Petit bout de terre australien perdu au milieu du Pacifique. C’est là que tout s’est joué pour Louis Burton, contraint de trouver un coin calme pour tenter de rattraper les dommages collatéraux engendrés par des manœuvres intempestives elles-mêmes causées par une panne de pilote automatique. « Avant de monter au mât j’ai très peu d’espoir de pouvoir réparer quand j’arrive aux abords de cette île. J’y vais vraiment pour tenter une dernière chose avant de remonter au nord vers la Nouvelle-Zélande [pour abandonner] et j’y vais aussi un peu par curiosité pour voir une terre du bout du monde, comme ça. »
Louis Burton est resté près de deux jours le long des côtes de l’île Macquarie, d’où la trajectoire un peu surprenante – Vendée Globe
Bref, une petite excursion National Geographics au milieu du Vendée Globe. Mais même ça, le destin le lui refuse dans un premier temps. « Quand je suis arrivé, la station radio du nord de l’île [où se trouve une base scientifique] m’a contacté, j’ai échangé avec des gens qui étaient tout prêts, hyper bienveillants. Et puis j’approchais, mais là-bas dans l’océan austral, il y avait de la brume tout le temps. Le plafond nuageux était bas et je ne voyais pas l’île. C’est comme si elle n’existait pas. » Ce n’est qu’à la tombée de la nuit que le brouillard s’est dissipé pour laisser place à un rocher noir.
La session de bricolage nocturne qui s’ensuit rencontre autant de succès que le safari polaire du Malouin. « En fait, j’y crois pas tellement pour plusieurs raisons: la première c’est que je suis pas sûr de réussir à monter et puis je suis pas sûr une fois là-haut de réussir à réparer. La première ascension je la fais de nuit et je ne réussis pas à réparer. » Mais, premier point positif, la faune locale se manifeste dans l’obscurité. Encore aurait-elle pu choisir meilleur moment pour le faire.
« J’entendais et je voyais des oiseaux qui volaient très bas tout autour de moi, des oiseaux immenses. Et j’entendais aussi des espèces de pingouins qui faisaient des bruits pas possible parce que j’étais tout près de la côte. »
Deux tentatives et un cri rageur plus tard, le skippeur sur Bureau Vallée arrive à ses fins. « A ce moment là c’est une joie intense de s’être dépassé comme ça », même s’il concède aussi s’être écroulé de fatigue à plusieurs reprises après cette mission impossible en tête de mât. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, un jour sans brouillard a fini par se lever sur le Pacifique sud. « Quand j’ai fini de réparer, j’ai vu des manchots ou des pingouins je ne sais pas trop, nager. Finalement, c’était une expérience dingue de vivre ça. Il y a ce côté voyage au bout du monde dont on ne se rend pas trop compte d’habitude parce qu’on fait le tour de la planète sans voir de terre à part le cap Horn, et encore c’est pas tout le temps. »
A la recherche du temps perdu
L’épisode Macquarie aura permis à Louis Burton de retrouver un Imoca à « presque 100% » de ses capacités et de bourlinguer pour refaire son retard dans le Pacifique puis l’Atlantique sud. Cerise sur le gateau, ses choix de route sont excellents, comme l’explique Michel Dejoyeaux. « Dès le milieu du Pacifique il était déjà revenu sur le paquet. Certes à la faveur d’un blocage météo d’une partie de la flotte mais il a maîtrisé son sujet et fait des trajectoires assez propres. C’est aussi ce qui lui a permis de traverser le paquet. Il est incisif, et surtout il est complètement dans le coup. C’est un de mes chouchous donc ça me fait plaisir. »
Mais le double-vainqueur de l’épreuve est impitoyable avec ceux qu’il apprécie et n’oublie pas cette histoire de faux-départ aux Sables. « Rien que pour ça, se marre-t-il, il ne mérite pas de gagner la course! » « Il dit ça pour me chambrer, sourit Burton. Je pense qu’en termes de temps perdu je dois être celui qui a le plus d’heures au compteur. Je vais me battre jusqu’au bout pour la victoire. Et même un top 5 ça sera formidable. » On relativise forcément plus facilement après avoir nagé avec les pingouins au milieu de nulle part.